Je
vieillis.
Oui, je l’admets,
c’est ma plus grande peur et elle se concrétise. Je vieillis.
Vieillir. Quel mot horrible à mon oreille; à entendre,
à lire, à ressentir, à subir. Je
vieillis. Est-ce que je vieillis bien ou
est-ce que je vieillis mal? Ce n’est pas
important car l’essentiel, c’est que je vieillis. Suis-je comme le bon vin que j’ai acheté il y
a de ça 2 ou 3 ans à mon père, et qu’il n’a bu que dernièrement? Celui qui
prend du goût en s’empoussiérant jusqu’à l’ouverture ultime du liège? Je m’empoussière sans aucun doute mais ai-je vraiment
pris du « goût »? Ce n’est pas
important car l’essentiel, c’est que je
vieillis…
Quand j’avais
10 ans et que je pensais « aux vieux », je pensais aux gens qui ont
maintenant mon âge. Je regardais mes
parents à l’époque, qui avaient mon âge actuel, et j’avais la tête pleine de
certitudes. Je savais que je serais une « adulte »
ce qui, nécessairement, allait me procurer liberté ainsi que libre-arbitre,
indépendance, assurance et j’en passe. Mais maintenant je sais que ce n’était qu’illusion
ces idées préconçues et ces perceptions que j’avais d’une vie adulte. Une vie dans « le monde des grands ».
Et c’est bien dommage…
Parce que
présentement, dans le monde dans lequel j’évolue, je constate beaucoup de
choses mais rien qui ne rime avec « grand ». Plus le temps passe et plus je nous trouve si
« petits », nous « les grands ». Confortés dans nos
certitudes fortuites qui ne sont en fait que le reflet de nos incertitudes
grandissantes, nous nous complaisons dans un comportement si petit envers les
autres que l’évolution du nivellement vers le bas est maintenant la norme. Il
faut écraser toute dissidence. Être « grand » rime maintenant avec statuquo,
normes sociales acceptables et absence de revitalisation des idées en
entretenant un discours préconçu et justement, socialement acceptable. Mais où est donc passé nos aspirations, nos
rêves, nos idéaux qui nous paraissaient si simples et si accessibles lorsque
nous regardions « les vieux » ?
Je
vieillis. Cela veut donc dire que je me désillusionne
car je constate. Des constats appuyés
sur des faits, des constats appuyés sur des situations tangibles et
mesurées. Et je déteste vieillir. Lorsque je regarde ma fille, j’aurais envie
de lui crier de ne pas souhaiter vieillir, de rester telle qu’elle est
présentement, de lui expliquer toutes les responsabilités directes et
indirectes qui viennent avec le fait de vieillir mais je ne le fais pas. Je ne veux pas l’influencer dans l’opinion qu’elle
se forgera du temps qui passe et qui atteint chacun de nous en nous modelant –
aussi appelée par certain « l’expérience ».
Mais je ne
peux m’empêcher d’effectuer un parallèle entre sa vision, sa réalité, et la
mienne. Alors qu’il est placardé partout
que la jeunesse est cruelle et qu’elle ne respecte ni ses semblables, ni ses
ainés, je ne peux qu’être en désaccord.
Ce n’est pas des enfants que j’ai vu juger, à torts et à travers
dernièrement, des situations avec cruauté, mais bien des « grands ».
Dernièrement,
j’ai vu deux êtres humains se rencontrer, apprendre à s’aimer et ayant décidé
que l’amour serait plus fort et ce malgré que tout aurait dû les séparer... J’ai vu deux êtres humains décider que l’amour
serait vainqueur, qu’il serait espoir de jours meilleurs, envers et contre
tous, qu’il l’emporterait car il vaut la peine d’exister. J’ai vu deux êtres humains croire de nouveau
en ces rêves d’enfants qui nous ont été tant racontés et qu’ils avaient
probablement eux-mêmes oubliés. Nous
avons tous entendu lorsque nous étions « petits » que l’amour était
plus fort que tout, que tant qu’il y a de l’amour, il y a de l’espoir… Et
pourtant! Ce sont des « grands »
et des « vieux » qui ont jugé, condamné, tenté de trouver la faille
et le mal dans cet amour naissant qui ne peut qu’être pur; un amour nourrisson,
qui débute, qui tente de prendre vie et d’avoir une identité propre… « Les vieux » ont sans doute dû
oublier ces adages qui étaient si importants lorsque nous étions enfants, qui
leur permettaient d’essayer de comprendre un sentiment qui allait se développer
lorsque nous serions « grands » mais qui ne rimait qu’avec amour
paternel et maternel à l’époque. J’ai vu
et constaté le jugement envers ces deux êtres humains qui s’est même permis de
se transformer en méchanceté. Comme si
la méchanceté pouvait rivaliser avec la force de l’amour. Comme si la méchanceté nous réconfortait avec
notre perte de mémoire d’enfant sur le plus beau sentiment qui soit. Comme si la méchanceté n’était rien d’autre
que la réponse évidente à un amour procurant un pur bonheur et que nous ne
comprenons pas tout de suite… Car la
méchanceté, quand tu vieillis, devient la norme lorsque l’incompréhension s’installe
lors d’une situation donnée. Maman et
papa ne sont plus là pour te réprimander quand tu es « vieux » et que
tu es méchant. Donc tu te permets de le
faire en invoquant « le droit de » et le « c’est mon opinion ».
Dernièrement,
j’ai vu des « vieux » de mon âge déchirer leurs liens de sang. Des mots durs et méchants ont été échangés,
répétés et assumés. De la douleur à l’état
brut a été produite uniquement parce que quand on est « grands », c’est
ce qu’on fait – on se défend en utilisant la haine et ce même si personne n’est
attaquée. On a le droit, on est « vieux »
- personne n’enverra un « vieux » dans le coin. Non.
On va plutôt subir « l’opinion » en invoquant encore « le
droit de ».
Dernièrement,
j’ai jugé la situation de quelqu’un sans savoir. J’ai forgé mon opinion par réflexe social –
parce qu’il est beaucoup plus facile de condamner que d’essayer de comprendre –
c’est ce que font les « vieux ».
Quand on est « grands », on fait preuve d’empathie mais pas de
sympathie. On conseille mais on ne
transpose pas les situations dans notre réalité. On réagit toujours mieux que les autres et on
aborde la vie dans une parfaite harmonie selon notre perspective. Quand on est « grand », notre
perspective est toujours absolue et irréfutable; elle fait loi. On sait toujours mieux que les autres mais ça
reste « notre opinion ». Nous avons
« le droit de ».
Ma fille de
7 ans a reçu de formidables commentaires de la part de son professeur et de son
éducatrice, encore cette semaine. Quel
plaisir de me faire prendre à part pour me faire dire que mon héritière, la
chair de ma chair est incroyablement gentille et respectueuse. Quelle joie de me faire dire que ma fille ne
juge pas les autres, les accepte tels qu’ils sont, qu’elle aborde ses journées
dans la conciliation et dans l’égalité.
Quelle joie de me faire dire que ma progéniture est si sympathique et qu’elle
ne veut qu’une chose, faire le bonheur de tous. Quelle joie que d’apprendre que certains
adultes te demandent d’inviter d’autres « amis » moins populaires à
se joindre à toi pour qu’ils ne soient plus seuls avec leur tristesse de n’avoir
aucun ami. Quelle joie de savoir que tu es fondamentalement « bonne ».
Alors ma
fille, je t’en prie, ne souhaite pas de devenir « grande » et « vieille »
trop vite. Car, nous les « vieux »,
nous avons oublié les choses simples de la vie : que l’amour peut tout
vaincre, que l’amour inconditionnel de la famille ne se retrouve nulle part
ailleurs et que de juger des situations si loin de nous avec empathie nous fait
oublier la sympathie. Empêche-moi de
vieillir trop vite en me réconciliant avec les sentiments purs de l’enfance –
là où tout est si simple. Là où on tend
simplement la main à quelqu’un pour qu’il se relève, sans jugement et sans prendre
aucun droit sur lui. Là où l’amour est
encore synonyme du don de soi et du partage et ce, sans aucun soupçon sur la
viabilité de celui-ci. Là où « le
droit de » ne fait aucun sens car « le droit de » rime avec équité
pour tous et non pas avec le « JE ».
Ça fait
peur d’être « grands » car en fait, nous devenons si « petits ».
La « vieille »
Frustrée.