vendredi 20 janvier 2017

Vieillir



Je vieillis.  

Oui, je l’admets, c’est ma plus grande peur et elle se concrétise. Je vieillis. 

Vieillir.  Quel mot horrible à mon oreille; à entendre, à lire, à ressentir, à subir.  Je vieillis.  Est-ce que je vieillis bien ou est-ce que je vieillis mal?  Ce n’est pas important car l’essentiel, c’est que je vieillis.  Suis-je comme le bon vin que j’ai acheté il y a de ça 2 ou 3 ans à mon père, et qu’il n’a bu que dernièrement? Celui qui prend du goût en s’empoussiérant jusqu’à l’ouverture ultime du liège?  Je m’empoussière sans aucun doute mais ai-je vraiment pris du « goût »?  Ce n’est pas important car l’essentiel, c’est que je vieillis… 

Quand j’avais 10 ans et que je pensais « aux vieux », je pensais aux gens qui ont maintenant mon âge.  Je regardais mes parents à l’époque, qui avaient mon âge actuel, et j’avais la tête pleine de certitudes.  Je savais que je serais une « adulte » ce qui, nécessairement, allait me procurer liberté ainsi que libre-arbitre, indépendance, assurance et j’en passe. Mais maintenant je sais que ce n’était qu’illusion ces idées préconçues et ces perceptions que j’avais d’une vie adulte.  Une vie dans « le monde des grands ».  Et c’est bien dommage… 

Parce que présentement, dans le monde dans lequel j’évolue, je constate beaucoup de choses mais rien qui ne rime avec « grand ».  Plus le temps passe et plus je nous trouve si « petits », nous « les grands ». Confortés dans nos certitudes fortuites qui ne sont en fait que le reflet de nos incertitudes grandissantes, nous nous complaisons dans un comportement si petit envers les autres que l’évolution du nivellement vers le bas est maintenant la norme. Il faut écraser toute dissidence.   Être « grand » rime maintenant avec statuquo, normes sociales acceptables et absence de revitalisation des idées en entretenant un discours préconçu et justement, socialement acceptable.  Mais où est donc passé nos aspirations, nos rêves, nos idéaux qui nous paraissaient si simples et si accessibles lorsque nous regardions « les vieux » ? 

Je vieillis.  Cela veut donc dire que je me désillusionne car je constate.  Des constats appuyés sur des faits, des constats appuyés sur des situations tangibles et mesurées.  Et je déteste vieillir.  Lorsque je regarde ma fille, j’aurais envie de lui crier de ne pas souhaiter vieillir, de rester telle qu’elle est présentement, de lui expliquer toutes les responsabilités directes et indirectes qui viennent avec le fait de vieillir mais je ne le fais pas.  Je ne veux pas l’influencer dans l’opinion qu’elle se forgera du temps qui passe et qui atteint chacun de nous en nous modelant – aussi appelée par certain « l’expérience ». 

Mais je ne peux m’empêcher d’effectuer un parallèle entre sa vision, sa réalité, et la mienne.  Alors qu’il est placardé partout que la jeunesse est cruelle et qu’elle ne respecte ni ses semblables, ni ses ainés, je ne peux qu’être en désaccord.  Ce n’est pas des enfants que j’ai vu juger, à torts et à travers dernièrement, des situations avec cruauté, mais bien des « grands ».  

Dernièrement, j’ai vu deux êtres humains se rencontrer, apprendre à s’aimer et ayant décidé que l’amour serait plus fort et ce malgré que tout aurait dû les séparer...  J’ai vu deux êtres humains décider que l’amour serait vainqueur, qu’il serait espoir de jours meilleurs, envers et contre tous, qu’il l’emporterait car il vaut la peine d’exister.  J’ai vu deux êtres humains croire de nouveau en ces rêves d’enfants qui nous ont été tant racontés et qu’ils avaient probablement eux-mêmes oubliés.  Nous avons tous entendu lorsque nous étions « petits » que l’amour était plus fort que tout, que tant qu’il y a de l’amour, il y a de l’espoir… Et pourtant!  Ce sont des « grands » et des « vieux » qui ont jugé, condamné, tenté de trouver la faille et le mal dans cet amour naissant qui ne peut qu’être pur; un amour nourrisson, qui débute, qui tente de prendre vie et d’avoir une identité propre…  « Les vieux » ont sans doute dû oublier ces adages qui étaient si importants lorsque nous étions enfants, qui leur permettaient d’essayer de comprendre un sentiment qui allait se développer lorsque nous serions « grands » mais qui ne rimait qu’avec amour paternel et maternel à l’époque.  J’ai vu et constaté le jugement envers ces deux êtres humains qui s’est même permis de se transformer en méchanceté.  Comme si la méchanceté pouvait rivaliser avec la force de l’amour.  Comme si la méchanceté nous réconfortait avec notre perte de mémoire d’enfant sur le plus beau sentiment qui soit.  Comme si la méchanceté n’était rien d’autre que la réponse évidente à un amour procurant un pur bonheur et que nous ne comprenons pas tout de suite…  Car la méchanceté, quand tu vieillis, devient la norme lorsque l’incompréhension s’installe lors d’une situation donnée.  Maman et papa ne sont plus là pour te réprimander quand tu es « vieux » et que tu es méchant.  Donc tu te permets de le faire en invoquant « le droit de » et le « c’est mon opinion ».  

Dernièrement, j’ai vu des « vieux » de mon âge déchirer leurs liens de sang.  Des mots durs et méchants ont été échangés, répétés et assumés.  De la douleur à l’état brut a été produite uniquement parce que quand on est « grands », c’est ce qu’on fait – on se défend en utilisant la haine et ce même si personne n’est attaquée.  On a le droit, on est « vieux » - personne n’enverra un « vieux » dans le coin.  Non.  On va plutôt subir « l’opinion » en invoquant encore « le droit de ». 

Dernièrement, j’ai jugé la situation de quelqu’un sans savoir.  J’ai forgé mon opinion par réflexe social – parce qu’il est beaucoup plus facile de condamner que d’essayer de comprendre – c’est ce que font les « vieux ».  Quand on est « grands », on fait preuve d’empathie mais pas de sympathie.  On conseille mais on ne transpose pas les situations dans notre réalité.  On réagit toujours mieux que les autres et on aborde la vie dans une parfaite harmonie selon notre perspective.  Quand on est « grand », notre perspective est toujours absolue et irréfutable; elle fait loi.  On sait toujours mieux que les autres mais ça reste « notre opinion ».  Nous avons « le droit de ». 

Ma fille de 7 ans a reçu de formidables commentaires de la part de son professeur et de son éducatrice, encore cette semaine.  Quel plaisir de me faire prendre à part pour me faire dire que mon héritière, la chair de ma chair est incroyablement gentille et respectueuse.  Quelle joie de me faire dire que ma fille ne juge pas les autres, les accepte tels qu’ils sont, qu’elle aborde ses journées dans la conciliation et dans l’égalité.  Quelle joie de me faire dire que ma progéniture est si sympathique et qu’elle ne veut qu’une chose, faire le bonheur de tous.  Quelle joie que d’apprendre que certains adultes te demandent d’inviter d’autres « amis » moins populaires à se joindre à toi pour qu’ils ne soient plus seuls avec leur tristesse de n’avoir aucun ami. Quelle joie de savoir que tu es fondamentalement « bonne ». 

Alors ma fille, je t’en prie, ne souhaite pas de devenir « grande » et « vieille » trop vite.  Car, nous les « vieux », nous avons oublié les choses simples de la vie : que l’amour peut tout vaincre, que l’amour inconditionnel de la famille ne se retrouve nulle part ailleurs et que de juger des situations si loin de nous avec empathie nous fait oublier la sympathie.  Empêche-moi de vieillir trop vite en me réconciliant avec les sentiments purs de l’enfance – là où tout est si simple.  Là où on tend simplement la main à quelqu’un pour qu’il se relève, sans jugement et sans prendre aucun droit sur lui.  Là où l’amour est encore synonyme du don de soi et du partage et ce, sans aucun soupçon sur la viabilité de celui-ci.  Là où « le droit de » ne fait aucun sens car « le droit de » rime avec équité pour tous et non pas avec le « JE ». 

Ça fait peur d’être « grands » car en fait, nous devenons si « petits ».  

La « vieille » Frustrée.