mardi 23 septembre 2014

L'origine

À l’ère où la connaissance est à un seul « click », à l’ère où on peut trouver n’importe quelle information en l’espace de 30 secondes, à l’ère où même des sites web ont la vocation de dresser ton arbre généalogique, j’ai décidé de te parler d’une facette de tes origines que tu ne trouveras nulle part sur la toile.  J’ajoute, même si c’est complètement démodé, que tu ne pourrais retrouver l’information dans une bibliothèque quelconque, le tout caché dans une encyclopédie ou un conte d’antan.

Novembre 2008.  J’apprends que je suis enceinte après 11 mois de déception récurrente.  Sache que tu fus voulue autant par ta mère que par ton père.  Tu n’étais pas un « accident » suite à un oubli d’ingestion de cachet ou de caoutchouc déroulant.  Tu as été souhaitée du plus profond de nos cœurs.  Et enfin, en novembre, deux petites barres sur le test!  Explosion de joie, larmes, ballade en voiture pour aller l’annoncer en personne à tes nouveaux grands-parents; le sentiment ressenti était indescriptible.  Oui ma petite, tu fus désirée! 
Ton papa souhaitait ardemment avoir SA petite fille.  Contrairement à plusieurs garçons que je connais, papa voulait une fille en premier.  Un fils l’aurait également comblé de bonheur mais papa voulait sa princesse.  Il m’a même dit qu’il savait, avant même qu’aucun test ne soit fait, que tu étais une jolie demoiselle.  Est-il devin ou simplement doté d’un sixième sens (qui d’habitude appartient à la gente féminine) mais toujours est-il qu’il a eu raison.  Lors du test coûteux en clinique privée, celui où l’on t’a aperçu pour la première fois en 3D, on nous a confirmé le tout – nous attendions notre petite fille chérie.  Nous étions comblés.
Contre toute attente (…) je me suis mise à anticiper.  De quoi auras-tu l’air?  Quel sera ton caractère?  Comme maman?  Pas en trop grosse dose SVP si on veut que papa survive... Mais mon plus gros problème était de te trouver un nom. 
J’avais au moins 10 choix de noms de garçons mais je n’avais aucun coup de cœur pour un nom de fille.  Étant affublée d’un nom pour le restant de ta vie, il me semblait primordial que ce nom soit choisi avec attention et surtout que ce soit le bon!  Rien qui rime avec une platitude question de te faire asticoter à l’école, pas de nom réécrit que tu devras épeler toute ta vie car la moyenne normale des gens l’écriront de manière standard (tsé le genre Wyl-lyam) et surtout, je ne voulais pas de nom composé.  Et pourtant…
Vers 4 ou 5 mois de grossesse, je commençais réellement à paniquer.  Moi les histoires d’attendre de voir la face du bébé pour lui trouver son nom, ça ne me parlait pas.  Sinon, tu aurais fini par t’appeler « ratatiner » ou « cone-head » (le bébé est resté pris dans le passage… déduisez…).  Non, je devais contrôler tout ce que je pouvais, alors que je ne contrôlais plus rien de mon corps, et ton nom en faisait partie.  De plus, ça me permettait une certaine proximité avec toi, en te nommant, puisque je n’étais pas du tout en symbiose avec ma bedaine.  J’étais juste malade, point barre.  Mais syndrome de la page blanche peut-être, je ne trouvais rien.  De plus, je me chargeais de trouver le nom et papa donnait son approbation (ou non).  C’était l’entente.  Rien de rien…
Tu ne le sais pas encore, mais dans cette période, deux petits anges ont vécu jusqu’en février 2009.  Deux petites âmes, toutes jeunes, toutes neuves à qui la vie appartenait.  Soudainement, un jour, pour des raisons obscures de grands, des raisons complètement choquantes, des raisons qu’on n’arrive pas à s’expliquer malgré que l’eau ait coulé sous les ponts, des raisons qui nous indignent, des raisons absurdes quoi, quelqu’un a décidé de les renvoyer au royaume des cieux qui leur était, de toute façon, acquis.  Cette personne, c’était leur papa…
Cet événement a fait trembler la terre du Québec.  Notre petit monde s’est écroulé pendant plusieurs mois et malheureusement, par la loi des hommes qui nous est parfois complètement incompréhensible, elle continue de trembler 5 ans plus tard… Cet événement a marqué l’imaginaire de notre société, tellement que la mère des petits anges, cette maman en deuil, a dû parler ouvertement et publiquement du drame qui a changé sa vie à jamais.  Malgré la douleur, elle le devait, car la société était en état de choc et ne comprenait pas ce qui avait pu se produire.  Malgré qu’elle fût touchée personnellement, elle a dû faire abstraction de cette douleur pour tenter d’expliquer au monde ce qui avait pu se produire car l’horreur, sans les mots pour l’expliquer, ne peut s’estomper.  Si on ne comprend pas, on devient fous… C’est aussi simple que ça.  Pour que la société ne devienne pas folle par incompréhension, cette maman a justifié sa vie, s’est tenue droite devant l’adversité et les jugements et surtout, elle a mis des mots sur son film d’horreur pour tenter de nous réconforter avec la vie.  C’est une grande femme – je te la montrerai un jour.
En discutant de cet infâme acte avec ta tante Marie (tout le monde ne parlait que de ça), elle m’a soudainement dit : « Et Anne-Sophie?  Ce serait un beau nom pour ta fille, non? ». 
Et voilà.  Voilà comment ton nom est apparu et s’est consolidé en moi.  Tu n’étais déjà plus « bébé », tu étais désormais notre Anne-Sophie. 
Je l’ai écrit normalement, d’une façon standard.  Ça ne rime avec aucune platitude malgré que les enfants soient champions pour faire rimer n’importe quoi.  Pour moi, ça rime avec espoir et réconfort.  Mais c’est un nom composé.  Et tu sais quoi?  Je m’en fous complètement.  Tu as un nom magnifique et je voulais, silencieusement, faire revivre une Anne-Sophie alors qu’une autre s’était éteinte.  Ce nom est probablement à jamais gravé dans l’imaginaire de notre société mais il l’est pour une toute autre raison dans mon cœur – tu es la plus belle et la meilleure chose qui me soit arrivée.
Et si tu avais été un garçon?  Aujourd'hui, je choisirais le nom Olivier.  
La Frustrée

mercredi 3 septembre 2014

MES difficultés ou TES difficultés ?!


**L’emploi du féminin est complètement prémédité dans ce texte.  Vous pouvez l’adapter au masculin selon vos besoins.  Merci **

Ma chère héritière,
Nous vivons de nouvelles choses ces temps-ci autant toi que moi.  J’inclus aussi notre homme de la maison même s’il en parle moins – on ne peut pas le blâmer d’être un homme, un vrai!  Celui qui fait ses besoins debout et qui ne pleure pas!  L’ancien modèle qui se promène avec des bottes de chantier mais avec une amélioration 3.0 : il peut te dire je t’aime 1000 fois par jour et accompagnera ses bottes d’une couronne de princesse si tu le lui demandes.  Je vais donc parler pour moi, avec mes mots à moi, même si je me doute qu’il partage la majorité de mes paroles…

« Quelles nouvelles choses maman? » t’entends-je me dire avec ta petite voix...  Nous vivons la rentrée ma chère progéniture… Oui, oui je l’ai vécu quand j’étais petite comme toi, à peine avec 5 bouts de chandelles soufflés mais j’étais dans TES souliers.  Maintenant je suis dans les miens, ceux dont je ne comprenais « que dalle » jusqu’au jour où je t’ai expédiée.  Je n’ai pas compris immédiatement tout ce que ç’allait impliquer mais maintenant que je te vois entrer par la « grande porte » de cette institution que j’ai autant aimée que détestée, je comprends mieux.  Comprendre, ma chère fille, ça peut être bénéfique à plusieurs égards, mais ça crée également beaucoup d’anxiété puisque tu peux « voir venir ».  J’aimerais t’apprendre à moins comprendre mais malheureusement, ce n’est pas quelque chose que l’on peut apprendre.  On s’accommode, on s’acclimate mais on ne peut combattre notre capacité à comprendre les choses.  Et tu comprendras aussi que la vie serait beaucoup plus facile, beaucoup plus belle, si tu comprenais moins… Dans l’ignorance, le bonheur est facile.

Moi j’ai compris beaucoup de choses quand j’ai assisté, médusée, à toute cette « procédure » entourant la rentrée scolaire.  Je parle en termes de procédures puisque c’est exactement comme ceci que ça se passe.  Une procédure, c’est écrit, tangible, rigide.  C’est un cadre établit qui doit s’appliquer à tous et à toutes sans aucune exception.  Au niveau opérationnel, je suis complètement d’accord.  Mais j’ai appris que l’école, là où on traite des enfants, des parents, bref des humains, on applique une procédure opérationnelle. 
Là où ma mâchoire a descendu d’un pouce pour la première fois, c’est lors des rencontres de parents.  J’étais assise sur ces bonnes vieilles chaises de bois qui, j’en suis sure, ont été conçues pour nous persuader de ne JAMAIS doubler une année tellement elles sont inconfortables.  Pour que nos jeunes retournent sur les bancs d’école, peut-on leur fournir au minimum des bancs confortables? (C’était la phrase démagogique de la chronique…).  J’écoutais consciencieusement ta directrice d’école nous rabattre les oreilles avec ce qui est le plus important, LES RÈGLES, mais j’ai toujours eu beaucoup de difficultés avec les règles.  En fait, non, j’ai beaucoup de difficultés avec l’absence de discernement visant l’application des règles.  Il va de soi que j’acquiesce sur  les règles de base de civisme ainsi que de saines habitudes de vie.  Lorsque l’on me parle de respect, de politesse ainsi que d’esprit de coopération, je suis la première à adhérer.  Même que parfois, je suis un peu trop sévère à cet effet avec une petite puce à qui je ne donne pas assez droit à l’erreur en oubliant trop souvent qu’elle vient tout juste d’avoir 5 ans (mon entourage le confirmera – je suis définitivement une mère sévère).  Là où je fais bande-à-part, c’est lorsque l’application de la rigueur éducative transcende le gros bon sens. 

Imagine-moi, ma chère fille, assise sur ma chaise de bois, lorsque j’entends : « Vos enfants peuvent déjeuner au service de garde mais doivent être complètement autonomes.  Si vous leur mettez des contenants quelconques, ils doivent pouvoir les ouvrir – nous ne les aiderons pas ».  Textuellement, tout de go!  J’ai donc fait comme à l’école et j’ai levé ma main.  J’ai parlé d’une voix claire et forte, telle que l’école me l’a apprise, et j’ai posé ma question : « Êtes-vous sérieux?  Si ma fille qui a 5 ans, depuis 2 mois, a besoin d’aide pour un contenant quelconque, elle n’en recevra pas?  J’ai certainement dû mal entendre, n’est-ce pas? ».  Soudainement, le bruit des chaises de bois s’est mis à se faire plus vigoureux, plus sonore… Malgré qu’on m’ait apprise à ne pas chuchoter lorsque quelqu’un parle lors d’une présentation, il semble que nous n’ayons pas tous eu la même éducation puisqu’il y avait beaucoup de chuchotements.  J’ai soudainement senti plusieurs regards sur moi, réprobateurs probablement, mais ça n’a jamais arrêté (hélas!) ta mère, chère enfant.  Bien sûr, on a tenté de changer les mots lorsqu’on a voulu me fournir l’explication (manque de temps, « on ne peut pas commencer à faire ça pour tous les enfants », etc) mais je suis aussi du type à revenir à la charge.  J’ai donc demandé, le plus candidement que je puisse le faire (hum…) : « Mais je croyais que c’était la mission d’un service de GARDE (avec le mot bien appuyé) de GARDER nos enfants.  Je conviens que l’appellation est fausse puisque vous faites bien plus que de simplement GARDER, mais n’empêche.  Si VOUS n’êtes pas là pour les accompagner et les aider, qui le fera? ».  Bon… une ou deux mouches ont volé mais je crois bien qu’on t’aidera à ouvrir tes contenants, le cas échéant, ma belle fille…

Par la suite, on m’a indiqué que lorsque tu vas dehors en plein été, tu n’auras pas de crème solaire.  Oh que non!  Pas le temps pour ça!  Si tu en veux, ou plutôt si je veux que tu en mettes, tu devras le faire toi-même.  C’est ça l’autonomie fille!  J’ai donc refait ce que l’école m’a apprise en levant ma main et j’ai demandé : « Alors, elles peuvent faire quoi les éducatrices pour AIDER nos enfants? ».  On a tenté de me chanter la chanson courante, que de s’occuper d’autant d’enfants est difficile, que le temps manque, etc.  J’ai donc répondu : « Mais non, les enfants passent TROP de temps au service de garde, c'est décrié dans plein d'études; même les journaux le disent… Vous avez certainement le temps non?  Et je conçois que de s’occuper d’autant d’enfants est difficile… C’est d’ailleurs pourquoi j’ai abandonné cette profession.  Ce n’est pas un métier mais bien une vocation.  Mais je suis certaine que d’aligner les petits et de mettre du « spray » sur leurs petits bras et visages ne créera pas un retard sur les jeux libres, n’est-ce pas? Si ma fille fini avec des maladies de peau quelconque, je lui dirai qu’on n’avait pas le temps!? ».  J’ai dû avoir des arguments de massue car personne n’a dit mot… La discussion a continué mais maintenant, on parlait beaucoup plus d’aide, de transition, d’accompagnement… Tiens donc!

Je te passe la rencontre avec ton professeur puisqu’elle fut satisfaisante.  Elle appuyait ses requêtes avec des explications complètement logiques.  Tu sais ma fille, que tu sois d’accord ou non dans n’importe quoi, c’est la logique qui prime.  Lorsque logique il y a, c’est le gros bon sens qui l’emporte et c’est nonobstant les arguments de tous et chacun.  Même ceux de ta maman.  J’ai donc abdiqué puisque je dois, moi aussi, m’ajuster au fait que tu dois entrer dans ce cadre et suivre les règles des institutions. 

Ce matin, je suis venue te déposer au service de garde.  Il y avait une petite fille avec une doudou qui pleurait à une table, toute seule.  Il y avait 5 enfants dans le service de garde et 4 éducatrices.  Personne n’était avec la petite fille.  Personne ne la consolait.  Personne pour lui dire que ça va passer, pour lui changer les idées.  J’ai donc cherché la transition qu’on a tenté de me vendre ainsi que l’accompagnement qui était en solde lorsque tu l’achetais la transition...  Je n’ai rien vu.  Manque de temps?  À 7H00AM?  Manque de ressources avec un ratio de 5 pour 4?  Soupir…

J’ai rappelé à l’école à 9h30 pour m’assurer que tout allait bien.  Oui, tu vas bien, même qu’on dirait que tu as « toujours été là » selon les dires de ton éducateur.  Et la petite fille qui pleurait?  Si ç'avait été toi, m’aurait-on dit la vérité?  Qu’a-t-on dit à cette maman si elle a rappelé?  Je me le demande…  Je me sens spectatrice de tout ça puisque mon rôle doit être relégué au second plan.  J’ai l’impression que l’école t’avale.  

J’ai peur pour toi ma fille.  C’est la jungle l’école.  Tu vas adorer mais aussi détester cette institution où tu passeras près de 12 ans jusqu’au Cégep.  Ce sont ces mêmes personnes qui manquent de temps et vraisemblablement d’empathie qui ont le mandat de prendre soin de toi lorsque ton père et moi seront absents… Et comment peut-on l’espérer lorsque ces mêmes gens ne consolent même pas une petite fille qui pleure?  Tu es trop petite encore pour lever ta main avec des arguments bétons.  Je ne peux que le faire pour toi… Tu devras me parler souvent ma fille, me tenir au courant sinon tu grandiras beaucoup trop vite à essayer de te défendre.  Une enfant de 5 ans ne doit JAMAIS avoir à se défendre.  Et je ne veux pas que tu le fasses, je veux que tu passes ton temps à avoir 5 ans…

Tes difficultés deviendront miennes.  Je serai un rempart pour toi – je ne veux que personne ne t’atteigne même si je sais que c’est vain.  Et je te jure sur l’amour que je te porte que je serai intransigeante et sans pardon au moindre manquement lié à l’intimidation. Car je me souviens parfaitement de l’effet que ça fait que d’être stigmatisée.  Je me souviens encore plus du sentiment lorsqu’on s’en affranchit et qu’on refait aux autres ce qu’on a vécu.  C’est encore pire, crois-moi.  Être victime, on peut panser ses plaies – être bourreau on ne peut que penser aux plaies qu’on a produites. 

Tu vas avoir toute l’aide demandée et souhaitée venant de ta mère ma belle amour.  Mais n’accepte et ne fait jamais le mal…

Et si tu n’arrives pas à ouvrir tes pots, je serai là aussi. 

Ta mère qui t’aime.  
La Frustrée